Le Colonel et le Djihadiste (suite et fin)
- vr4429
- 29 mars 2018
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Vers la Pâque des nations

C’est le grand jour pour Emmanuel Macron, peut-être le baptême du feu. Le chef des armées a voulu un hommage national ce mercredi 28 mars 2018 aux Invalides pour le Lieutenant-colonel, Colonel à titre posthume, Arnaud Beltrame. Celui qui n’avait pas hésité à remettre à leurs places les militaires au tout début de son mandat en rappelant sa fonction imminente va pouvoir montrer à tous qu’il est bien le chef dont la nation a besoin en ces temps de guerre. Face au sacrifice du gendarme, saura t-il, lui aussi, comme le père Jean-Baptiste avec la fiancée d’Arnaud Beltrame, trouver les mots qui sonnent juste ?
Emmanuel Macron aime envoyer des signaux, il nous l’a démontré le soir de son élection, devant la pyramide de la cour carrée du Louvres ou prenant la pose devant son bureau pour la photographie officielle des chefs d’Etat avec au dos les jardins de l’Elysée. Mais les signes ne sont rien quand ils ne sont pas reliés à la source qui donne le sens, qui fait la force du symbole. Tout juste nourrissent-ils alors le bruit des sociosphères et agitent-ils les esprits les plus perturbés. Une chance unique est offerte au chef de l’Etat de donner du poids à son discours qui en manque jusqu’ici cruellement en incarnant la France dans son identité profonde.
Oui ! Emmanuel Macron a mis tous les mots durant cet hommage : Héros, chef, sacrifice, Jeanne d’Arc, résistance, courage, service, mère, de Gaulle, frère, épouse, patrie, donner sa vie… Il aura juste oublié de rattacher cette somme de signe à sa source, à savoir l’engagement chrétien d’Arnaud Beltrame, attesté au premier chef par ceux-là même qui l’ont veillé la nuit du vendredi au samedi 24 mars. Tandis que lui « frissonnait » jusqu’à l’échine (Parce que quelque-chose était en train de lui échapper, mais quoi ?) au QG de la cellule de crise du Ministère de l’intérieur, son peuple avec le prêtre et l’épouse priaient. Prier, mot trop compliqué à utiliser certainement quand on se veut chef d’Etat républicain ! Il fallait une toute autre force d’âme (Encore une formule qui fut employée) à Emmanuel Macron pour résister à la tentation de commettre ce meurtre d’âme qui consiste à couper le lien entre le signifiant et le signifié, l’acte de sa motivation la plus intime Même les psychanalystes avaient parlé tel Cyrulnick d’acte christique. Macron n’en retiendra que le concept de résilience, du traumatisme qui a bon dos et surtout n’épuise pas, loin s’en faut, la problématique de la terreur. « Encore un effort pour ne plus être du tout chrétien » semble être le message subliminal de Macron à ses concitoyens, qui fait lointain écho au révolutionnaire et théoricien de la terreur, Donatien Alphonse François de Sade, qui dans sa philosophie dans un boudoir assène à ses compatriotes « Encore un effort pour être républicain ». C’est l’essence même de la terreur que de priver l’autre du ressort intime de son être, en cela Macron perpétue l’atmosphère de terreur voulu par les esprits totalitaires. L’être islamique de Radouane Lakdim est peut-être problématique mais il est cité, l’être juif de Mireille Knoll assassinée probablement pour des motifs antisémites est lui plébiscité mais l’être chrétien d’Arnaud Beltrame, tabou, est passé sous silence. Ce refoulé du discours macronien aura un jour un retour comme un retour de flamme pour ce baptême du feu manqué du chef de l’Etat.
Certainement fallait-il le faire cet hommage devait penser la classe politique française, mais avec quelle précipitation à y bien réfléchir. La crainte que la situation échappe aurait-elle présidée à ces cérémonies organisée en un temps record ? Plus compliqué que l’hommage de Johnny entouré de sa petite famille tellement unie, privé du slogan « Nous sommes tous… » comme avec Charlie Hebdo tant l’acte d’Arnaud Beltrame est apparu singulier, sans le renfort de l’idéologie victimaire qui peut même servir pour un prêtre ou deux comme à Saint-Etienne du Rouvray. Cette classe politique, ce soir d’hommage national, se rassurera comme elle pourra, avec une marche blanche qui ne mange pas de pain.
Compliqué somme toute de « faire hommage » dont il peut sembler intéressant de rappeler l’étymologie médiévale et féodale : Promesse de fidélité et de devoirs faite au seigneur par le vassal ou homme selon le Littré. Mais qui est le seigneur ? Non pas tant Arnaud Beltrame, héros certes mais un homme parmi d’autres, avec sa complexité, sa part d’ombre (Qu’il a su néanmoins affronter dans ce supermarché à Trèbes), chrétien traditionnaliste et en même temps franc-maçon. Gendarme qui s’est volontairement désarmé devant un ennemi mortel, ce qui peut interroger. Comme toujours, notre monde confond héros et idole. Et quel sens donner à son sacrifice ? Radouane Lakdim ne s’est-il pas sacrifié, n’a-t-il pas cherché à faire le sacré, lui aussi ? Quelle différence aujourd’hui entre le suicide et le sacrifice quand le mot attentat (At-tenter) qui disait bien ce qu’il voulait dire, a été remplacé par les médias, et ce n’est pas plus innocent que de l’usage ou non du mot égorgement, par le terme plus neutre d’attaque. Ombre portée sur l’acte héroïque d’Arnaud Beltrame, le suicide du père disparu il y a des mois et dont le corps a été retrouvé seulement il y a quelques jours ? Etrange atmosphère en France aujourd’hui entre trombe d’eau et fin du carême. Celui-ci a débuté avec la Saint Valentin et s’achèvera dimanche premier sur un poisson d’avril.
Et si le trouble qui saisit les esprits aujourd’hui provenait de ce sentiment à peine effleuré d’incapacité à distinguer clairement et définitivement le sacrifice du Djihadiste Radouane Lakdim de celui du Colonel Arnaud Beltrame ? Un sacrifice pour la vie et un autre pour la mort, est-ce là bien chose suffisante ? Pour distinguer entre les deux héritiers d’un lointain patriarche à qui il avait été demandé déjà de sacrifier son fils, son unique. Entre les deux fils, lointain descendants de deux frères, Ismaël fils d’Abram et de la bonne de Saraï et Isaac, fils d’Abraham et de Sarah, la confrontation a tourné court, soldée par deux morts ce vendredi 23 mars à Trèbes. Comment distinguer finalement, au travers le discours d’Emmanuel Macron entre Marielle, fiancée d’Arnaud, et Marine, compagne de Radouane ? Comment distinguer entre la cause patriotique de l’un et de l’autre ? Comment distinguer entre l’exigence de leur dieu dont on nous explique à longueur de propagande que c’est le même ? Hé bien ! Sans la référence au Christ, sans la référence à l’amour chrétien, deux mots bannis du discours présidentiel, c’est absolument impossible. Alors revenons une dernière fois dans cette chambre d’hôpital ou se noue la parole du prêtre et de la promise (L’alliance n’est-elle pas une promesse ?) tandis que se dénoue le lien entre deux êtres dont l’un va être fauché par la mort. Le bon père Jean-Baptiste prendra bien sûr appui sur la belle formule de Saint Paul « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Saint Jean 15-13) et c’est en effet chose admirable lorsque Philia, l’amitié, transmute Eros (l’amour charnel) en Agapè (Repas de noces). Mais que dire à celle qui perd l’être aimé, qui fait entrer son amour dans la catégorie des amours terrestres impossibles ? Comme que dire aux patriotes qui ont perdu ce jour là un héros ? Comme que dire aux fidèles du christ qui déplorent la perte de leur frère ? Que l’éternité ne sera pas de trop… C’est ce que fait dire François Cheng à un missionnaire jésuite à un presque moine taôiste, dans l’un de ses ouvrages les plus éminents et qui éclaire admirablement le sens du sacrifice du Colonel Arnaud Beltrame :
« L’étranger a-t-il deviné sa pensée ? Il ouvre la bouche et aborde sans détour le point qui le soucie :
-Maître Dao-sheng, vous êtes vraiment quelqu’un d’éminent. Non seulement vous possédez l’art de guérir le corps, mais vous vous intéressez aux choses essentielles de la vie. Vous m’avez obligé à réfléchir, vous savez. Mais je pense que comme nous manquons de temps aujourd’hui, nous ne parlerons pas du seigneur du ciel, ni de son fils ; parlons de vous-même. Vous dites savoir ce que c’est qu’aimer. Vous aimez quelqu’un, n’est-ce pas ?
-Oui, pas de doute, j’aime quelqu’un. Pas facile cependant de vous dire qui est la personne. En tous cas, je l’aime du fond du cœur, à l’extrême, pas de doute là-dessus.
-Du fond du cœur, à l’extrême dites vous. Est-ce qu’on peut entendre par là que vous l’aimez plus que vous-même ?
-Pour sûr, oui.
-Force nous est de constater alors que, si nous aimons vraiment, l’amour que nous donnons est plus que nous-mêmes, qu’il nous dépasse. Que, si l’on aime vraiment, on entre en quelque sorte dans une autre sphère. Et dans cette autre sphère, sans oublier pour autant qu’on est mortel, on est prêt à croire que l’on peut mourir soi-même, mais que l’amour ne mourra pas. Au point qu’on peut dire à l’être aimé : « Tu ne mourras pas ! ». Ainsi plus l’amour est vrai- car il y a différents degrés dans l’amour-, plus on est à même de jurer l’éternité ; comme disent d’ailleurs les Chinois quand ils expriment l’amour : « Plus durable que Ciel-Terre » ou « Par-delà rochers pourris et océans à sec ». Oui, ami Dao-sheng, n’entendez-vous pas de par le monde toutes les voix monter et proclamer : « L’amour ne mourra pas ; Tu ne mourras pas ! ». Toutes ces voix convergent pour former une immense voie. Oui, la Voie, le Tao. Et justement, j’y pense, le Tao en chinois n’a-t-il pas double sens : Chemin et parole, marcher et dire ? Eh bien, ne voyons nous pas qu’en marchant et en disant, tous les êtres aimants ont formé, comme je viens de le dire, une immense voie qui exalte la vraie vie et qui dépasse la mort ? C’est ici que je voudrais vous révéler une chose : en réalité, pour que l’amour soit la voie de la vraie vie, une promesse a été donnée dés le début. Dés le début, quelqu’un, par-delà ce que nous pouvons concevoir, a dit : « Je t’aime, tu ne mourras pas ». François Cheng- L’éternité n’est pas de trop.
Voici ce qu’a voulu nous dire le Colonel Arnaud Beltrame, par son acte héroïque, pour la mémoire nationale, pour l’exaltation spirituelle que son sacrifice nous inspire : « La France ne mourras pas ! Tu ne mourras pas ! ».
Nicolas STOQUER
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